"L'Ame du Fleuve "- Création Ode - 2006©



 L’amante.

 

       Déterminée, elle sourd de la terre, elle dévale la pente. De mouillures et de mousses, elle habille le gré rose des seins durs du torrent. La froidure de sa caresse agace. Puis la coquette s’invente des voyages. Son chant léger cajole les sous-bois. La source ride bientôt un pré d’herbes et de joncs.  Tout comme la truite, son eau glisse sur le sable pour s’approprier une liberté buissonnière. Dans cette frivolité du ru, il y a aussi un jaillissement intérieur. De sève et de sang, la séduction d’un message. Un désir violent fouaille ses eaux déjà en mal d’océan. L’innocente aspire à rencontrer l’Aimer. Aux frontières abolies, elle superpose les émotions. Entre l’épars et le subtil, la vagabonde arrache des pétales d’arc- en- ciel pour colorer sa robe, se dévergonde afin de séduire les vents, flirte avec les pluies.

       Elle mûrit. Par l’essence d’un coup de pinceau toutes sortes de verdures réinventent la réalité sur son parcours. L’amoureuse rêve d’harmonie, de vivant, à porter fruit, à porter graine au plus près de l’indéfini : Ah ! Dans les éclaboussures d’une orgie de lumière, sentir la terre entre ses cuisses de ses mains cueillir l’étincelle ! Dans ses effusions généreuses, l’eau porte loin la substance des choses, elle permet la manifestation du grand mystère de la vie.

       Au ruisseau, l’onde lascive musarde, babille ou habille, déshabille ses rives redessinant sans cesse des limites brodées de fougères. Elle leur offre l’infini de la végétation : digitales, épilobes balsamines ou bruyères, iris drus et tant d’autres aux sucs capiteux vont peindre le vallon.

       Au détour d’un hameau, le flot abreuve la roue à aube d’un moulin accroupi sur la rivière. Sous un pont de bois gris, impudique, il s’attarde dans des étreintes furtives sans préméditation ni lendemain avec les rochers. Insolence de jeunesse. La sauvageonne mène sa course  et batifole.

 Elle traverse les bourgs. Elle raconte les villes très enceintes. Elle rencontre les hommes toujours pressés. La rivière est une route qui marche. Elle va, elle vient, en quête d’ailleurs. Ses lèvres d’écume frôlent les cailloux quand elle avance, gonflée, au plus juste chemin.

       Venez, venez ! La fiancée en mal d’amour offre à la terre entière de partager son désir d’en aller. Libre pour mieux savoir aimer, sa rumeur séduit l’orage. Les coups de tonnerre frappent le ventre de la servante- maîtresse. Sa vulve enflée entre ses membres écartés crache un affluent. Sublime salissure. Après l’avoir fécondée, l’orage la roule dans ses écharpes de brume et aussi vite fuit.

       Fatiguée, elle choisit un temps l’ascèse des noirs et blancs quand elle traverse l’hiver. De brodures d’argent, elle s’accoutre, s’amuse de la féerie des cristaux glacés. La coquette pense déjà à affrioler le printemps qui bourgeonne les vallées quand le vent acide mordille ses oreilles ourlées des derniers givres. Mars insuffle la détermination d’une nouvelle saison qui allume la prunelle des premières fleurs. La rivière déborde. Là, ailleurs, partout elle s’étale. C’est elle qui décide. Elle arrache, lave ou salit, nourrit, vole à la neige ses mouillures mourantes. D’aventure en aventure l’eau répond à l’indicible appel. La maladie est contagieuse. Flore, faune humains, la terre entière soudain s’abandonne aux râles d’amour. Langueurs, halètements, soupirs, blessures remplissent les nuits. Oubliant toute pudeur culbutée dans la tourmente, la source méconnaissable a jeté sa culotte aux orties. L’indomptable instinct aveugle le cours d’eau, révèle l’élan lorsque la rivière se noie dans le fleuve. Il gronde roule, emporte écrase ce qui lui résiste. Le violeur se jette vers la mer, vers sa proie. Rien ne saurait l’arrêter. La mer mugit, appelle encore et encore l’étreinte. L’océan ouvre ses entrailles lorsque les bras puissants se tendent vers lui. Dans cet orgasme violent, vers quel monde oublié les amants jamais épuisés continuent – ils de s’unir à jamais ? La même flamboyance, la même braise les fait hurler. Eternellement.

La source accouchera de la vie

      

Françoise MARTIN ©

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