Une bien ninquiétante étrangeté.

 

            I dit que je disais autant parler à un mur…

J’ai toujours aimé la pierre, son matériau noble, sûr et solide d’une longue expérience venue de la nuit des temps. Un mur de pierre sèche réchauffe la main qui le caresse. Art brut, son dessin rassure. J’avais cette habitude en rentrant après chaque partir, après chaque voyage de le visiter. Sa chaleur se communiquait à mes paumes. Je fermais mon regard. Je humais mon retour. Dans une angoisse tremblée des doutes de l’absence, je le réapprenais.

            I dit qu’on aurait dit qu’il me reconnaissait…

Cette fois là encore, mes deux mains se promenaient, avides, sur sa surface. Mes doigts agrippaient les interstices de sable chaulé qui s’effritait. Les yeux clos, je savais le voir. Calme, beau, il protégeait mon jardin d’enfance.  

            I dit que je disais que je l’aimais…

Pourtant, dans cette nuit allumée, quelque chose aurait du retenir mon attention. Une pierre proéminente voulait à elle seule remplir toute ma paume droite. Pourquoi ? demanda ma main gauche quand, à son tour, elle sentit, intriguée. Une seconde brique enflait. Mon cerveau abusé eut à peine le temps de s’étonner que toutes les pierres étaient gonflées en autant de pustules molles  avec chacune un œil noir exorbité.

            I dit qu’on aurait dit de la fraie de grenouille sur l’eau d’un fossé…

Le mur bourgeonnait de grosses cellules laiteuses. Tapissé de ses protubérances verdâtres, il se prit à chuinter tandis que ses moellons gigotaient. Une sorte de danse de Saint Guy, mais, tels des frères de lait – de lait de chaux ?- ils  restaient soudés sur leur base. Ils grinçaient de leur bouche édentée. Leurs longs cous tubulaires se tordaient vers moi. A faire dresser les cheveux d’une tête chauve.

            I dit que je disais c’est pas Dieu possible…

Le cauchemar jouait sur les perspectives, les étirements raccourcis et les angles audacieux. Burlesque,  sa menace ne me communiqua aucune peur. Comme si, les murs n’avaient pas des oreilles mais plein d’yeux globuleux rétractiles à volonté, au gré d’un fantasme d’une nature farceuse. Qu’importe, j’étais là et je m’en accommodais. J’avais dû toujours savoir qu’il en serait ainsi quand je mettrais trop longtemps à revenir, trop longtemps à rentrer dans mon pays d’enfance. Ma muraille de Chine détestait pleurer dans les vents mauvais de trop d’hivers perdus.

            I dit qu’on aurait dit que je devais changer mes verres de lunettes…

Dans l’épaisseur du mur, autant de pustules boursouflées mugissaient. Des hurlements d’outre-tombe. Chaque méduse s’étirait vers moi. Chaque cyclope lançait son unique  tentacule gluant. M’enlaçait. Me cajolait. Me berçait. M’entravait. M’écrasait jusqu’à m’étouffer. L’air me manquait. Elles me broyaient la poitrine. Je haletais dans d’inutiles débats.

            I dit que je disais mais c’est fou au secours…

Mes os craquaient de partout. Aux dires de l’indicible, combat perdu d’avance. Le mur ricanait, jouissif, en malaxant une bouillie sanguinolente qui avait du, un jour, être dans une quelconque chapelle baptisée Françoise. Il se mit en devoir d’engloutir le petit tas d’ectoplasme rouge qui gisait sur l’herbe  indifférente. Le soleil se chargea de sécher tout ce qui restait. Ou la terre le but.  

            I dit qu’on aurait dit rien que de la poussière…  

 Repus, fier de lui, le mur se calma, finit par s’endormir. Peu à peu il maigrit, rétrécit chacune de ses pierres jusqu’à n’être plus que ce beau vieux mur de moellons doucis du soleil d’un octobre chanceux. Paisible et sage, il borde le verger de mon père, accueillant aux lézards et aux orties.

            I dit que je disais tu vois tout est bien…

Cette nuit, ma plume s’est bien namusée. 

 

Françoise Martin

 

RETOUR CONTES - ACCUEIL