CAVALE

 

 

Une gifle blanche, un choc mouillé, le ciel qui s'échappe, qui s'en va dans un éclatement mou.

Ça crie quelque part dans ma tête.

La cavale blanche... J'ai toujours cru que c'était une légende et voici qu'elle est là qui semble

m'attendre sous l'érable au sommet de la colline. Œil de hibou l'homme médecine en rêvait souvent avant qu'il

n'échange les champignons sacrés contre l'eau de feu. Mais qui l'écoutait alors ?

 

Sens dessus dessous, j'orbite une lune invisible. Le temps s'accélère, les jours les saisons.

Lumière ombre feu glacé. Mes yeux s'ouvrent sur du noir.

Je suis le dernier Indien des plaines et le dernier mustang est pour moi.

C'est écrit dans les rêves par où parle l'Esprit. Œil de hibou me l'a dit.

 

Mes amis sont partis depuis longtemps chez les hommes blancs, dans les écoles d'hommes blancs

et ils montent des ferrailles d'hommes blancs. Des ferrailles qui déséquilibrent le monde par l'odeur, le bruit et la folie.

Moi je suis la Voie de l'harmonie : je jeûne et je médite et je mets mes pasdans les pas de ma cavale blanche....

 

J'arrive au bord du monde, je vais tomber, je tombe.

J'ai besoin de blanc sur mon visage mes lèvres dans mes veines.

Seule la blancheur pourra reconstruire le monde. L'harmonie, le blanc, la cavale blanche contre

la solution de continuité, l'interruption, la coupure,

Dieu me parle et je suis son prophète. Ou plutôt Dieu parle en moi pour nous, pour vous.

Pourvous qui êtes venus, pour vous qui êtes à venir tout au long de Son éternité.

 

Pourquoi m'a-t-Il élu, moi qui n'ai jamais cru en Lui.

 

O Dieu donne-moi Ta parole ! Et aussi la force de ne pas L'oublier, de La dire à ceux qui ne

m'écoutent pas, et à ceux qui m'écoutent mais ne T'entendent pas , ô Seigneur !

Qui suis-je ? Un homme si ordinaire, si peu digne de recevoir Ta sourate.

Je ne suis qu'un homme parmi les hommes, et comme eux je suis si faible, j'ai si peur d'oublier,

d'oublier une seule parole de Toi.

 

Et voici venir du fond des temps des Cieux où Dieu sema sa colère et foudroya l'infidèle, voici

que s'avance une pâle jument, une cavale blanche.... Elle vient pour m'emporter parmi les nuées éblouissantes.

Dans une gloire infinie je vole vers Toi, Seigneur.

Ma dépouille sous un drap blanc. Je monte dans la lumière blanche, je deviens lumière blanche...

Des voix blanches dans une chambre d'échos

éclatent loin,

très loin,

de plus en plus loin.

 

CHU, j'ai chu. Verbe choir, pas facile à conjuguer. Troisième groupe, évidemment.

Remplacé par tomber, premier groupe, plus simple.

Je tombe en capitales rouges sur du blanc.

Autre chose est écrit, lignes de sang démesurées et floues à mes yeux agrandis.

Mais du chaud, du doux Docteur, il se réveille ! sur ma joue et sur ma main.

 

CHU – – – LA CAVALE BLANCHE – – – BREST – – – CHU – – –

 

Je ris doucement en refermant les paupières. Elle est là, tout va bien.

 

O.Kennel, le 2 septembre 03

 

DEDALES

Les larmes ont commencé à couler comme elle atteignait le rivage.

Le sable jaune et gris d'où émergent çà et là des blocs de béton se mêle par endroits à l'eau plombée

que ne ride aucune houle. Au large, l'horizon se ferme sur on ne sait quoi. Une bande de terre indéfinie. Une jetée de pierre lancée là sans

raison. On dirait plutôt que le monde s'achève ici. Qu'il s'exténue.

C'est à ce moment qu'elle a vu la Ville. Et, presque aussitôt, elle était à l'intérieur.

Les larmes ruissellent sur ses joues, dans son cou.

Elle est à la fois dedans et sous la Ville, à la limite des fondations, du soubassement. Des murs incas labyrinthiques

dessinent des ruelles irrégulièrement brisées de pointes aiguës ; les murailles saillantes les surplombent.

Des sanglots compulsifs lui déchirent la gorge.

Une seule porte. Basse. Etroite. Scellée.

Le ciel se découpe en éclairs courts, en zigzags bleus implacables, distendus d'angles obtus.

Des plaintes et des gémissements s'échappent de ses lèvres.

Quelque chose a envahi autrefois cette ville. Quelque chose, une menace toujours présente bien qu'invisible.

Ce n'est pas la mer si proche. L'océan sait être assassin, ravisseur, destructeur. Doux et tiède comme un ventre, aussi. Les pierres du sol

sont sèches, sans trace de sable, de limon, de mousses, d'algues, de lichens ou de ces herbes qu'on dit mauvaises.

La tristesse est insupportable : elle hurle sa douleur aux murs aveugles.

De larges piliers ronds et lisses soutiennent les façades en encorbellement, les balcons inutiles.

Un peu plus loin l'enduit est peint de feuilles d'acanthe, les corniches s'ornent de fleurs de lotus stylisées, ivoire,

rouge, émeraude, luisant dans cette lumière difficile. Les ors jettent un éclat froid.

Elle se heurte aux parois peintes, elle va tomber, elle tombe. Et crie, hurle dans une langue qu'elle n'a jamais sue.

L'entité, la chose s'abat sur la Ville déjà morte, sur Cassandre paralysée de silence.

 

O.Kennel, 2 juin 2004

 

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