« Si vous rencontrez un maître zen sur la route,

Faites-lui face, ni avec des mots ni en silence.

Donnez-lui un uppercut

Et on dira de vous que vous comprenez le zen. »

 

                                           Mumon

 

 

 

 

 

TANKA DU CIMETIERE

 

 

Tant de papillons

 

Au crépuscule volettent

 

Par-dessus les tombes

 

La nuque des pieuses nonnes

 

Leur douce trompe l’agace

 

 

TANKA DE L’AMOUR

 

 

Crocus dans la neige

 

Vous m’arrosiez de lumière

 

Comme un vol d’oiseaux

 

La peur doucement fuyait

 

Tout en moi devenait ailes

 

 

TANKA DU VOILE

 

 

Quel ange se tait

 

Qui m’empêche de parler

 

Quel autre moi-même

 

Comme la nuit qui s’étend

 

Le vent sifflant sous les portes

 

 

TANKA DU SECRET

 

 

Les bulles de pluie

 

Ne ressemblent pas aux larmes

 

Ni au ciel tes yeux 

 

De l’oie sauvage qui crie

 

Rien n’allège le secret

 

 

TANKA DU CARAVAGE

 

 

Cerises pendant

 

Après ses oreilles roses

 

Qui court dans les herbes 

 

Quel rêve de Caravage 

 

Quel faune qu’on dirait ange 

 

 

TANKA DE L’AMOUR DÉFUNT

 

 

Je fus papillon

 

Je luisais parmi les pierres

 

J’étais amoureux

 

D’une fille et son cerceau

 

Un tableau de Chirico

 

 

TANKA POUR GUILLEVIC

 

 

J’ai vu Guillevic

 

Vieux déjà et décoré

 

Un jour gris de vent

 

Il nous chantait ses poèmes

 

Comme des pas dans la neige

 

 

TANKA POUR TES CHEVEUX

 

 

Des fils de lumière

 

Gluante encollent mes mains

 

Douceur et sourire

 

Je me pends à tes cheveux

 

Je n’atteins pas à l’aurore

 

 

TANKA POUR PRENDRE

 

 

Le ciel près de moi

 

Comme un animal c’est toi

 

Sans la mer ni rien

 

Ce que l’on ne peut pas prendre

 

Le vent alentour la neige

 

 

TANKA DE L’OISEAU

 

 

Au miroir des yeux

 

Ni aux lacets du savoir

 

Ne se prend l’oiseau

 

Il chante ce qui s’échappe

 

Loin de nous comme est le ciel

 

 

TANKA DE LA FLAMME

 

 

La flamme qui lutte

 

Avec le bois vert se tord

 

Et s’efforce et peine

 

Mais l’âcre fumée l’enlace

 

Et de tout son poids l’affaisse

 

 

TANKA DU TRICOT

 

 

Tu détords la laine

 

Bleue et croise les aiguilles

 

Tu n’y penses pas

 

Yeux mi-clos tu vagabondes

 

Tu t’envoles sur la mer

 

 

TANKA DU MORT

 

 

Statue étendue

 

Ce mort que l’on a aimé

 

Rien ne la distrait

 

Ni la pluie à la fenêtre

 

Ni les pas du chat ni rien

 

 

TANKA DE L’HIVER

 

 

Peupliers d’hiver

 

Vous êtes tout déplumés

 

Mais vous êtes là

 

Vos racines vous soutiennent

 

Dans la mémoire des feuilles

 

 

TANKA DU JEUNE SEIN

 

 

Fruit du chemisier

 

Le jeune sein à peau fine

 

Doucement frémit

 

Comme un fruit parmi des branches

 

Quand la main veut le cueillir

 

 

TANKA DE LA POÉSIE

 

 

Là où elle sourd

 

Parmi le cristal des arbres

 

L’ombre des mots roule

 

Soulève comme une neige

 

Des râles des chuchotis

 

 

TANKA DE LA DORMEUSE

 

 

Près de moi tu dors

 

Comme la terre en hiver

 

Captive de l’ombre

 

Nulle lune ne t’éveille

 

Loin tu vogues loin de tout

 

 

TANKA DE L’ABANDON

 

 

Les dents arrachées

 

Une à une est-ce par-là

 

Le chemin vers rien 

 

Abandonnant tous nos rêves

 

Comme fleurs fanées en terre 

 

 

TANKA POUR VIEILLIR

 

 

Est-ce mon image

 

Cette poussière partout

 

Les doigts sur les vitres 

 

Quelque chose du soleil

 

S’appesantit et s’étire

 

 

TANKA DE L’INQUIÉTUDE

 

 

S’il n’y avait plus

 

Que des murs parmi des arbres

 

Les cris des oiseaux

 

Ta voix en lambeaux en l’air

 

La terre trouée au vent

 

 

TANKA DU GRILLON

 

 

Blanc comme la pâte

 

De son pain le boulanger

 

Fatigué s’affaire

 

Il n’entend plus le grillon

 

Son coeur cloué sous la cendre

 

 

TANKA DE LA SURPRISE

 

 

Un goût de résine

 

Un doux vent dans les sapins

 

Des gamins qui sautent

 

Tout à coup me vient l’enfance

 

Comme un oiseau sous les ronces

 

 

TANKA DU TÉLÉPHONE

 

 

Sa voix dans l’absence

 

Claire comme une clochette

 

En moi comme au loin résonne

 

Quoi donc s’y accroche

 

De si loin de si perdu 

 

 

TANKA DE L’ATTENTE

 

 

Où est le poème

 

Avant qu’il ne soit écrit

 

Dans quel ciel roulant

 

Dans quel improbable émoi

 

Quelle attente de ta voix 

 

 

TANKA DE LA RECHERCHE

 

 

Dans l’herbe une pie

 

Parmi les feuilles jaunies

 

Quelque ver espère

 

Ainsi parfois je m’efforce

 

En quête du plus infime

 

 

TANKA POUR MAGRITTE

 

 

La clenche du pied

 

Sous les orages froissés

 

Doucement s’émeut

 

Le sombre palais délivre

 

Ses oiselles sa murène

 

 

TANKA SANS NOM

 

 

Ne me cherchez pas

 

Ni dans les replis du vent

 

Ni près des fontaines

 

Je suis au creux des ravines

 

Brassant de pierres l’écume

 

 

TANKA DE LA MOUCHE

 

 

Elle est affolée

 

La mouche dans la bouteille

 

Ailes en chamade

 

Ses pattes grattent le verre

 

Vers là-bas vers le soleil

 

 

TANKA DE L’EMPRISE

 

 

Rien qui me retienne

 

Ni en moi ni près des pierres

 

Le moindre m’emporte

 

Le vent me tord comme feuille

 

Comme écume sur la mer

 

 

TANKA DE L’AGONIE

 

 

Elles bougent encore 

 

Les ailes du papillon

 

En lente agonie

 

Je le regarde attendri

 

J’écoute battre mon coeur

 

 

TANKA DE LA MORT APERÇUE

 

 

Les yeux de la mort

 

Comme ils étaient froids et noirs

 

Profond leur silence

 

Comme un vol d’oiseaux de nuit

 

Mes mains prises dans les draps

 

 

TANKA DE LA SOUFFRANCE

 

 

Souffrir me suspend

 

Au soleil à la verdure

 

Porte mon regard

 

Là-bas au bout du chemin

 

Où la brume s’effiloche

 

 

TANKA POUR ELLE

 

 

Arc-en-ciel au ciel

 

Les derniers frissons d’orage

 

S’apaisent et meurent

 

Parmi les éclairs les ombres

 

Sa robe au jardin qui vole

 

 

TANKA DE LA PRIÈRE

 

 

Tu viens t’accroupir

 

Près de la source tarie

 

Les racines sèches

 

Tu lèves les yeux au ciel

 

Vers le soleil vers les branches

 

 

TANKA D’AMOUR

 

 

Que fais-tu mon âme

 

Eclats de mots dispersés

 

En tas comme cendres

 

Livrée au souffle d’amour

 

Tu tremblerais comme au vent

 

 

TANKA DU CHÈVREFEUILLE

 

 

Léger comme plume

 

Dans un pot en terre sèche

 

Quelque chèvrefeuille

 

Dans ma mémoire je cherche

 

Son parfum sa chair d’épice

 

 

TANKA DE L’ÉTÉ

 

 

Les oiseaux s’apaisent

 

Quand s’agitent les cigales

 

C’est le plein été

 

Quelque vipère s’égare

 

Quelque lézard vers les pierres

 

 

TANKA POUR ELLE

 

 

La Belle Ô la Belle

 

Dans un bâillement s’épand

 

Au prime soleil

 

Je ne peux les réunir

 

Ses éclats dans la lumière

 

 

TANKA DE LA MÉLANCOLIE

 

 

Seul face à la mer

 

J’écoute les goélands

 

Les vagues le vent

 

Ils ne parlent pas de moi

 

Ni la voile au loin qui claque

 

 

TANKA POUR CLAUDE MONET

 

 

Mouton violet

 

La mort broute la prairie

 

Verte et le soleil

 

Des apeurements éclatent

 

Des rires secs sur les berges

 

 

TANKA POUR UNE OMBRE

 

 

Toujours après moi

 

Loup feutré une ombre blanche

 

Me poursuit partout

 

J’essaie à tirer ses traînes

 

Déchirer ses os sa chair

 

 

TANKA DU POÈTE

 

 

Ô pauvre poète

 

Luisant comme pacotille

 

En vain tu t’escrimes

 

Le bleu des bleuets te fuit

 

Au moindre églantier tu saignes

 

  Jean-Michel MAYOT ©

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